Depuis que le chantier d’insertion a ouvert ses portes en 2006, certaines places sont réservées à des personnes ayant des problèmes de justice. Nous cherchons à accueillir ce public particulier sans préjugés, en nous attachant à leur offrir un cadre leur permettant d’apprendre ou reprendre le chemin d’une vie personnelle et professionnelle en liberté.
Toutefois, il est fréquent que leur parcours lié à la justice implique des contraintes strictes. Ainsi, certains doivent dormir en prison et y passer les week-ends, d’autres portent un bracelet électronique et ont des horaires à respecter. Parfois, ils doivent aussi se soumettre à des rendez-vous réguliers. Tout cela a pour terminer leur peine et régler leur dette à la société. Nous nous gardons de poser des questions sur les raisons de leur passage devant le juge. En effet, aux yeux de la justice, nous devons respecter ce qui est confidentiel. Pour autant, nous devons prendre en compte ces contraintes afin de les aider à se préparer au moment où ils seront vraiment libres.
Par exemple, l’un des premiers accueillis, que j’appellerais Yakoub, racontait avoir été braqueur de magasin. Il eut de long échanges avec Jérôme, qui était adjoint de magasin avant de rejoindre La Gerbe, et a vécu cette hantise des vols et des braquages. Pour ce salarié en insertion, qui pensait comme Robin des Bois s’en prendre aux richesses, c’était une découverte de toucher du doigt l’appréhension que provoquent ces intrusions pour les personnels des grandes surfaces, ainsi que la cascade de responsabilités tombant sur eux, liées à la surveillance et la sécurité des magasins.
Je me souviens de Dake, un homme à la carrure impressionnante, qui avait passé 4 ans dans une prison à l’étranger puis avait été extradé en France. Il terminait sa peine en aménagement comme salarié chez nous. Il passait la nuit en prison puis progressivement a pu prendre un hébergement à l’extérieur. Les premiers mois de son contrat, nous nous étonnions de son comportement étrange, notamment à chaque lancement des activités : Il restait cloué sur un fauteuil incapable de bouger. En discutant avec lui, nous avons compris qu’il avait subi un conditionnement en prison. Pour se lever, il devait entendre le bruit des clés dans la serrure. Sinon il était dans une sorte d’apathie. Peu à peu, il reprit pied et aujourd’hui nous le croisons souvent avec son grand sourire. Il a trouvé un travail et sa vie a pris un cours normal.
Khaled, lui, rasait perpétuellement les murs. Âgé d’une vingtaine d’année, il avait connu la prison pour une affaire de mœurs. Dans son quartier, on lui faisait encore payer ses fautes. Il était comme une ombre, cherchant à se faire oublier, toujours au bord des larmes. Le temps d’enfermement avait été très difficile pour lui. Il racontait la soudaineté de son arrestation et combien sa mère lui avait manqué durant son enfermement. Il lui a fallu des années pour accepter sa faute et les conséquences de celle-ci, puis pour reprendre sa vie en main. Il passe de temps en temps pour nous faire part de ses réussites : son permis de conduire, un travail, une vie de famille…
Ancien caïd de cité, le jeune Sam se révoltait contre la peine qui lui avait été administrée. Une médiation pour reprendre le dialogue avec sa référente en prison, les échanges avec les membres de l’équipe (« massage équilibrage» comme dirait Ivan) … ont contribué à l’aider à prendre conscience de ses responsabilités et apprendre un nouveau chemin. Il vit dans une autre région, à la campagne et a fait sa vie, heureux avec sa femme et ses enfants.
Il s’agit d’un public qui nous demande un soin particulier. Pour une large part d’entre eux, les règles de vie en entreprise n’ont pas été apprises et la relation à une autorité n’est pas aisée. La vie en prison laisse des traces marquantes qui ont un impact sur la vie en société, le partage d’un espace, l’appréhension de la liberté, la gestion de la colère… Cela peut nous heurter aussi. Mais nous sommes encouragés par les capacités de changement de ces personnes. Si nous passons des moments difficiles, nous retrouvons l’énergie de continuer en les aidant à être heureux et paisibles.
Sylvie Cuendet
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